Elodie Ann : “Chaque marque est responsable de son influence sur les jeunes, les moins jeunes et sur le monde. Les créateurs ont un rôle majeur à tenir envers la société d’aujourd’hui et celle de demain.”
Kaliana. Que signifie la mode pour toi ?
Elodie Ann. Pour moi c’est avant tout un moyen d’expression.
La mode reflète ta personnalité, ton caractère et tes gouts personnels.
En quelque sorte elle façonne ton identité, te permet de combler un sentiment d’appartenance, que ce soi à une classe sociale, une culture, une époque en particulier ou à des idéaux.
Si tu portes une fourrure animale ou une paire de Veja, cela en dit aussi beaucoup sur toi, ta vision de la mode et de la vie de manière générale.
Kaliana. Est-ce un domaine plutôt élitiste ou plutôt accessible ? (en tant que créateur ou consommateur)
E.A. C’est un monde paradoxal, à la fois ouvert et fermé.
En tant que créatrice, je dirai assez élitiste car tous les étudiants d’écoles de mode – même des plus prestigieuses – ne seront pas directeur artistique ou en tête d’affiche…y compris ceux ayant lâchés 12 000€ par année d’études…ce qui n’est pas à la porté de tous.
Ce serait hypocrite de penser l’inverse !
Néanmoins la mode tend à devenir plus accessible. L’école de mode gratuite Casa 93 basée à Saint-Ouen et le festival Open Mode Festival éthique et engagé qui se déroule à la Villette sont de parfaits exemples. On est loin de la rue de La Rochefoucauld dans le 9ème arrondissement (à proximité des Grands Magasins) où se trouve le siège d’Esmod.
Je pense aussi qu’à ce jour, de manière générale, il est plus facile de créer sa marque qu’il y a plusieurs années. Nous avons de formidables outils à disposition, une floraison de tutoriels sur Youtube, de nombreuses ressources…, il y a donc de plus en plus d’autodidactes ! Quand tu vois que Nué, – la marque Ukrainienne chérie d’Instagram crée l’année dernière donc hier – a explosé grâce à une brassière à paillettes et une super communication (largement adoptée par les influenceuses comme Chiara Ferragni, Molly Chiang, Negin Mirsalehi…) tu te dis que, finalement, la mode est accessible à tous les créatifs et les ambitieux qui souhaitent s’y lancer ! Je suis donc assez optimiste quant à la capacité des nouveaux talents à se faire connaitre !
Kaliana. Quelle place penses-tu que la mode a dans le façonnement de l’identité de quelqu’un ?
E.A. La mode nous permet de combler deux besoins : le besoin d’appartenance (affection des autres) et le besoin d’estime (estime de soi).
Pour schématiser : Si tu achètes ou tu investis (chacun sa façon de voir les choses) dans un sac 2.55, tu as des chances d’être acceptée par la crème de la mode.
Si tu portes les dernières Dad Shoes méga semelle de Fila ? C’est certain, tu seras plus facilement acceptée par les filles stylées. La mode te permet donc d’avoir le sentiment d’appartenir à un groupe. Et qu’en est-il de la perception des autres sur le façonnement de ton identité ?
1/10 de secondes suffisent pour juger une personne sur son apparence physique – c’est ce que révèle cette étude impressionnante réalisée par Janine Willis et Alexander Todorov de l’Université de Princeton aux Etats-Unis -.
La façon dont nous nous habillons nous permet donc de façonner notre identité, de partager notre vision avec des personnes qui nous ressemblent, de nous sentir plus appréciés et d’avoir une meilleure estime de nous.
Kaliana. Quelle place penses-tu que la mode a dans notre société ? Est-ce un marqueur social, culturel, ou simplement une préférence personnelle ?
E.A. Je pense que c’est à la fois une préférence personnelle – pour 8 françaises sur 10 la mode est avant tout un plaisir selon un sondage réalisé par l’IFOP pour la Fédération Française du Pret à Porter Féminin, et pour 45% d’entre elle, elle leur permet de se distinguer –
La mode est donc aussi un marqueur social qui permet de t’identifier à une classe sociale ou à un mouvement par exemple.
Grayson Perry, cet artiste anglais un peu excentrique qui apparait en tant que Claire lors de ses expositions, (sa dernière exposition “vanité, identité, sexualité” à la Monnaie de Paris) – travesti dans ses robes XXL, ultra colorées – est un parfait exemple selon moi de la place de la mode dans notre société moderne occidentale : La mode sert à faire passer un message.
Kaliana. Est-ce que la mode pour toi relève de l’art ?
E.A. Complètement ! Un grand nombre de créateurs y font référence et j’en fais partie ! Ma première collection rend hommage à Claude Viallat un artiste contemporain Français incroyable que j’ai eu la chance de rencontrer (tu peux découvrir mes pièces Hommage à Claude Viallat sur Instagram).
Je pense évidemment à Elsa Schiaparelli, considérée comme avant-gardiste ou “créatrice de concept” qui dans les années 30 faisait des étincelles avec Dali. L’essence même de son travail était d’une dimension artistique.
Il y a eu aussi la robe Mondrian d’Yves Saint Laurent, la collection de Jean Charles de Castelbajac en collaboration avec Keith Haring, les plissés incroyables d’Issey Miyake, les superbes drapés de Vionnet ou plus récemment Vivienne Westwood et ses chapeaux iconiques “Seau de paille” ou “chapeau multi-chapeaux”.
Il y avait aussi Jean-Michel Basquiat qui défilait pour Comme des Garçons en 1987. Sans oublier la Maison Lesage, le bottier Massaro, la Maison Lemarié et Lognon qui contribuent aux prestiges des Métiers d’Art de la Maison Chanel. Incontestablement, la mode relève bien de l’art.
Kaliana. Qu’est-ce que tu aimes dans la mode ? Et dans le métier de créateur ?
E.A. J’aime imaginer, créer et partager ma vision du monde à travers mon regard. J’aime cette liberté. En tant que créatrice, j’aime raconter la petite histoire, l’anecdote de chaque pièce.
C’est ce qui fait la différence entre un créateur et des vêtements sortis d’usines de grandes chaines de distribution.
Kaliana. Que penses-tu de la place du créateur de mode dans la société ? Est-il bien vu ?
E.A. Nous avons tous en tête l’image du créateur adulé par la société et les médias.
La place du créateur de mode est, selon moi, une place envieuse, plutôt prestigieuse.
Il a une communauté de fans, de followers, des égéries, des assistants, une équipe qui le soutient, son nom en tête d’affiche et sur les étiquettes pour la plupart d’entre eux, bref, la totale.
Je pense que ce format tend de plus en plus à s’effacer pour un format moins individualiste. De nombreux collectifs ont vu le jour ces dernières années : VETEMENTS, le collectif GAMUT, GmbH, Andrea Crews, Walk in Paris, Enfant précoce, Etudes, Umaniwear…
Les collectifs ont aussi compris qu’à plusieurs ils iraient plus vite !
Kaliana. Que penses-tu de l’influence des marques sur les jeunes ? Et sur les générations précédentes ?
E.A. Les marques ont considérablement influencé le rapport des jeunes face à la mode.
Je pense à Coco (coco_pinkprincess), cette incroyable petite japonaise qui a 6 ans est devenue une icône mode d’Instagram !
Les marques se sont aussi vite emparées des médias sociaux pour s’adresser aux très jeunes. Si ces marques sont responsables, engagées et mettent à l’honneur de belles valeurs, alors je pense que c’est une bonne chose !
Levis France réalisait un shooting participatif pour sa dernière campagne, son crédo : “Chacune avec vos différences de couleurs, d’âges, de poids, de formes, vos forces, votre individualité”.
Chaque marque est responsable de son influence sur les jeunes, les moins jeunes et sur le monde. Les créateurs ont un rôle majeur à tenir envers la société d’aujourd’hui et celle de demain, ils doivent inspirer par leurs valeurs, leurs visions. Alors, à nous de jouer !

Interview réalisée par Kaliana Rakotobe